Le concours de valorisation de l’excellence Normande !

PORTRAIT

Membre du jury 2023

jeu., 11 mai 2023

‍     A Valmont, à quelques encablures de Fécamp, la maison Caillet sous l’étoile depuis 2012 ressemble à l’idée du bonheur. L’âtre où le geste a laissé son empreinte répond à la sensation de convivialité suggérée. C’est dans cet havre de paix et de travail que nous reçoit le chef Pierre Caillet, entre le jardin aromatique et l’étang qui embrasse presque les baies vitrées. 

Tout a commencé ici, avec Cécile, son épouse. Après l’école hôtelière du Touquet, les armes sont faites chez le chef Jean-Paul Jeunet, conscient du potentiel qu’offre la nature. Pierre a une véritable révélation, «on avait tout sous la main». Le parcours continue chez Romuald Fassenet puis escale en Irlande. Au retour, l’entrepreneuriat les démange, l’aventure est lancée. 


Depuis leur arrivée, la reconnaissance du terroir, parfois méconnu des normands est l’enjeu. Sans brusquer, Pierre va vers ce en quoi il croit et inaugure par des amuse-bouches de fleurs et d’herbacés. Il salue l’exemple de la famille Marcon. «Pendant quatre heures à leur table, on traverse l’Auvergne. En rentrant, on décide d’accentuer au fur et à mesure l’empreinte terroir en proposant notamment des fromages 100% normands». Il rend également hommage au travail d’Alexandre Couillon, (triple étoilé au Michelin), qui révèle le terroir vendéen. «Extraordinaire !Une vraie émotion devant une cuisine simplement parfaite, qui joue sur les sensations primaires avec une extrême technicité qui s’efface derrière le produit. Cela parait évident, c’est frustrant de simplicité!»


L’œil aux nuances chlorophylle s’évade et rebondit au-dessus des eaux tranquilles… «Le fil conducteur de ma cuisine, ce sont les produits du terroir, le végétal». C’est l’expression d’une philosophie de vie. «L’adaptation est permanente, c’est le règne de la vie. Ma cuisine a énormément évolué en quinze ans». Il confie que pour lui, «c’est bien autre chose que se nourrir. Il faut nourrir aussi l’esprit» tout en mettant les choses au point, «on ne sauve pas des vies non plus !» Et pourtant… Bien se nourrir n’a jamais eu autant d’influence sur la santé.  


Le challenge, c’est aimer à se surprendre avec des produits qui sont souvent les mêmes et qui arrivent au même moment dans l’année. Au potager, près de 3000 mètres carrés sont dédiés à la culture et assurent une production continue. «J’essaie de retrouver des variétés en lien avec la région. En hiver, le rien au jardin n’existe pas. C’est une idée préconçue. Il vit toujours.On apprend à s’adapter à l’environnement. Entre le plateau et la vallée, il y a deux degrés d’écart, cela impacte les décisions comme celle de l’ensemmage». Le chef n’hésite pas à emmener les clients au potager pour une pause bucolique. «La cuisine, c’est créer un souvenir, c’est une histoire personnelle. Il ne faut pas la galvauder». Comme ce grand-père qui lui confie, «vos petits pois m’ont rappelé ceux que me préparait ma mère». Le chef renchérit, «on joue sur les sensations pour révéler la curiosité, les émotions». 


Le sensitif est le vecteur constant pour accompagner la clientèle, comme lui laisser entrevoir le métier côté coulisses. «Le fait d’offrir la possibilité d’assister à la préparation de son repas modifie le comportement en salle. Ils ressentent ce pour quoi un chef fait ce métier, entièrement axé à leur procurer du plaisir». La vision de la cuisine s’ajuste à une réalité, «s’il y a de l’attente, c’est parce qu’on a besoin de ce temps-là».



Son meilleur souvenir professionnel est à Marseille. «C’est le jour où on annonce votre nom au MOF». Il revoit les chefs Alain Ducasse et Jacques Maximin qui révèlent les dix lauréats, le compliment du chef Michel Roth (Bocuse d’or) ; «Bravo pour ta prestation», lors de la finale. «C’était un rêve de gosse. Je voulais tant faire honneur à mon professeur, Jean-Marc Monpach. J’avais trop d’émotions». Et les souvenirs… A la maison, il entend souvent qu’il faut se donner les moyens d’arriver. Il revoit son père qui l’emmène à l’école le premier jour, «il y en a six derrière toi, il faut aller jusqu’au bout». En remontant de Marseille, il revit ce moment si intense que celui de porter pour la première fois le col tricolore. Oui, il y a un avant et un après. Le chef prend acte de l’attente des gens, notamment de la jeunesse. «Conscient du titre, je veux faire tout ce que je peux pour en être digne. En portant ces couleurs, je porte les valeurs de tous les MOF de France». Et l’engagement se poursuit notamment par la formation de jeunes cuisiniers, de missions de consulting et d’audit ou d’expertise lors de concours.


Membre du jury du prochain Trophée des Léopards, Pierre Caillet avise les apprenants. «On travaille, on s’entraîne, on persévère. Si on ne gagne pas, ce sera toujours une expérience constructive et celui qui gagne ne gagnera peut être pas la prochaine fois. Il faut rester modeste». Il encourage, se rappelle son premier TP à l’école hôtelière. Son chef Jean-Marc Monpach lui octroie une note qui répond à un plat cramé mais la révise, sachant jauger le tout jeune homme malgré son découragement. Pierre conclut, «le principe, c’est d’apprendre, ne pas être khalife avant l’heure. Un jour, on pourra s’exprimer chez soi et décider de prendre les rênes. Quand on aime ce qu’on fait, on n’a pas l’impression d’aller travailler. C’est une question de passion et c’est différent tous les jours».


Prêt, le tablier cintré à la taille, le chef sort de son étui un de ses couteaux japonais, marquant son goût pour une culture de précision et de dextérité. «C’est magique de transformer la matière, le produit. Je suis un cuisinier, pas un épicier». Fasciné par l’intelligence de la main, Pierre est admiratif du geste, dans sa technicité, sa perfection, sa magie, et sa beauté. Dans la famille, on travaille la matière, le bois notamment, depuis des générations. «Chez nous, les hommes aimaient les couteaux. Le taillage s’apprend, les yeux fermés.Le couteau, c’est le prolongement de la main. Sentir avant de voir…».


Au sens propre comme au figuré, l’emprise au sol de l’ancien karatéka est avérée, la lucidité inscrite dans les gênes pourrait-on dire. Face aux distinctions prestigieuses, la tête reste froide, sait saisir l’essentiel et donne ses lettres de noblesse à un terroir tant chéri. Chaque jour, Pierre marque de son empreinte cette terre normande à qui il donne tout. Discret et résolu, il y dessine rien de moins qu’un savoir vivre où le passé et le futur n’occultent en rien l’instant. «Il faut profiter, manger le moment présent».


Fais ton paradis sur terre, en attendant l’autre, écrivait Jean-Jacques Rousseau.


Pierre est dans le vrai.

Et on aura tout dit.

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